Sapho


A une aimée 

Il goûte le bonheur que connaissent les dieux
Celui qui peut auprès de toi
Se tenir et te regarder,
Celui qui peut goûter la douceur de ta voix,

Celui que peut toucher la magie de ton rire,
Mais moi, ce rire, je le sais,
il fait fondre mon coeur en moi.

Ah ! moi, sais-tu, si je te vois,
Fût-ce une seconde aussi brève,
Tout à coup alors sur mes lèvres,
Expire sans force ma joie.

Ma langue est là comme brisée,
Et soudain, au coeur de ma chair,
Un feu invisible a glissé.
Mes yeux ne voient plus rien de clair,
A mon oreille un bruit a bourdonné.

Je suis de sueur inondée,
Tout mon corps se met à trembler,
Je deviens plus verte que l'herbe,
Et presque rien ne manque encore
Pour me sentir comme une morte. 





Les adieux 

Atthis n'est point sur ses pas retournée.
Vraiment, je voudrais être morte.
En me quittant, elle pleurait,

Elle pleurait et me disait:
"Ah ! Saphô, terrible est ma peine.
C'est malgré moi que je m'en vais..."

Et je lui répondais moi-même:
"Pars en joie, souviens-toi de moi.
Ah ! tu sais bien comme je t'aime !

"Sinon, je veux te rappeler
Nos heures si belles, si chères,
(Les as-tu vraiment oubliée ?)

"Les guirlandes entrelacées,
Autour de ta gorge fragile,
Les fleurs adorables mêlées,

"Et le parfum mystérieux,
Les flacons de parfum royal,
Qui inondaient tes beaux cheveux,

"Et l'heure, où, sur un lit couchée,
Mollement et entre mes bras,
Tu calmais ta soif altérée..." 




L'absente 

Souvent, dans la lointaine Sardes,
la pensée de la chère Arignota, ô Atthis,
vient nous chercher jusqu'ici, toi et moi.

Au temps où nous vivions ensemble,
tu fus vraiment pour elle une déesse,
et de ton chant elle faisait ses délices.

Maintenant, entre les femmes de Lydie,
elle brille, comme après le coucher du soleil
brille la lune aux rayons roses,
parmi les étoiles qu'elle efface.

Elle répand sa lumière sur les flots marins,
elle éclaire les prés en fleurs.

C'est l'heure où tombent les belles gouttes de rosée,
où renaissent la rose, la délicate angélique
et la parfum du mélilot.

Alors dans ses longues courses errantes,
Arignota se souvient de la douce Atthis,
l'âme lourde de désirs, le coeur gonflé de chagrins.

Et là-bas son appel perçant nous invite à la rejoindre,
et la nuit aux subtiles oreilles
cherche à redire au delà des flots qui nous séparent
ces mots qu'on ne comprend pas,
cette voix mystérieuse... 



Jeunes filles


Telle la pomme savoureuse,
Rouge au bout même de la branche,
Là-haut, sur la plus haute branche.
Ah ! les cueilleurs l'ont oubliée.
Non, ils ne l'ont pas oubliée,
Ils n'ont pas pu y arriver.

Monte la lune dans son plein,
Les filles autour de l'autel...

Ainsi jadis, d'un pied léger,
Dansaient les filles de la Crète,
Autour d'un autel bien-aimé.
La musique animant la fête,
Et du gazon elles foulaient
Les fleurs à la douceur si fraîche.

Les pois chiches dorés poussaient sur le rivage.

Le sommeil aux yeux noirs est venu sur leurs yeux.

Est devenu froid le coeur des colombes,
Leurs ailes se sont repliées.

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