TRICKY
Tricky par David Lachapelle
Quelques définitions, voulez vous?
ESTHETIQUE
DU DEFAUT appliquez-vous à chercher les taches aveugles des machines,
les dérangements de l'image, les erreurs de copie, les séquences tremblées.
Occupez-vous pour ainsi dire du subconscient de la machine. En tant que
spectateur vous êtes confronté à l'effet que produit ce qui est imparfait et
bon marché. Filmez des images qui sont tremblées, » neigeuses et traversées
de rayures gênantes. Ces anomalies normales sont générées par la technique,
ce sont des défauts d'enregistrement ou de restitution qui échappent au médium
et s'insinuent dans sa mission de reproduction, conférant ainsi aux images une
texture pittoresque que l'on peut appeler esthétique du défaut. La vidéo
intitulée Les défauts de Pipilotti (1988) de Pipilotti Rist traite
explicitement de l'analogie entre les déficiences de la vision chez l'homme et
chez la machine. Au générique du film on entend à l'arrière-plan:
« Je te vois voir/Tu me vois voir/Je veux voir comment je vois/Tu
veux voir comment je vois/Je veux montrer comment je vois/Tu veux montrer
comment tu vois/Nirvana dans la roseraie. Nostalgie d'une perception commune?
Celui qui élimine les flous, les défauts et les émotions, fait acte
d'uniformisation totalitaire.
UNDERGROUND/MAINSTREAM
« La subculture pop comme modèle de subversion n'est
structurellement plus possible, estime le critique musical et culturel de
Hambourg Günther Jacob dans la revue Kunstforum (Vol. 134/ 1996), car
l'opposition entre underground culturel et le mainstream culturel (prétendument
homogène) n'existe plus depuis longtemps. Ce qui se veut si définitif, se révèle,
quand on poursuit la lecture, être un point de départ possible pour un nouveau
débat, par exemple quand Jacob écrit: »Mais cela ne signifie pas que certains
gestes de l'avant-garde subculturelle n'ait plus de base matérielle. La
connaissance théorique n'est pas identique à la réalité sociale. Les
pratiques de la culture de masse absorbent, face à la contrainte sociale de la
délimitation et de la différenciation, les anciennes pratiques de la grande
culture et reproduisent leur différenciation hiérarchique. Nous avons à faire
à un système socioculturel et économique qui produit des modèles toujours
plus variés, qui oppose entre elles ces diversités et les hiérarchise, et qui
se maintient grâce à la concurrence qui naît entre elles. »
RETROVISION(NAIRE) « Les artistes actuels se sont accaparé des méthodes archéologiques, ethnographiques et journalistiques. Ce sont des artistes qui avancent tout en gardant à l’œil, dans le rétroviseur spirituel (latin: retrovisor), la conscience de l'origine. Retrovision, cela veut donc dire aussi autodétermination comme anticipation du lendemain avec les moyens d'aujourd'hui et le savoir d'hier. Le jeune photographe Wolfgang Tillmans, qui travaille autour de la culture pop, de la culture de la jeunesse et de la mode, déclare dans une interview: »Il n'y a personne de nos jours qui n'aurait pas conscience de photographies antérieures. Pratiquement depuis le jour de notre naissance se trouve dans nos têtes une encyclopédie de la représentation. Je crois que mon travail a dans une grande mesure à voir avec ce respect que l'on doit au savoir que chaque individu possède de sa propre existence visuelle. La rétrovision, c'est la re-découverte du passé qui n'est pas oublié. La rétrovision, c'est la réfutation du progrès et c'est l'influence de l'archaïque. C'est par la rétrovision, c'est par l'art de se former en avançant et en reculant, que peut apparaître l'autodétermination. Le rétrovisionnaire n'est pas avant-gardiste. S'il associe rétro & vision, il se trouve à la limite, pratiquement entre les choses. Le rétrovisionnaire est par conséquent quelqu'un de l'entre-deux, un betweenic, apparenté à Orphée, le chantre naviguant dans l'entre-règne, celui qui appelle et cherche, poète et traducteur en un. Tricky donne à une de ses chansons un titre bref, mais marquant: « Brand New! You're Retro! » »